Par Yasmine
Le débat sur le voile est devenu usant par sa redondance, usant pour ceux qu’il intéresse comme pour tous ceux qu’il indiffère, musulmans ou non. Entre peur, rejet, discrimination et incompréhension, avec tout à la fois des élans solidaires envers toutes celles qui le portent, le voile n’en finit pas de diviser. Apparu vers la fin des années 70 avec la diffusion de l’islam wahhabite et l’islam politique des Frères musulmans, alors même que les étudiantes d’al Azhar ne se voilaient pas, le voile a fini par s’imposer comme un « dogme » de l’islam, partout les femmes doivent se voiler pour témoigner de la sincérité de leur foi, de la profondeur de leur spiritualité mais aussi, et de plus en plus pour aller contre une certaine vision de la femme, réduite à son apparence, ce qui est souvent avancé par les féministes islamiques. Mais au delà de ces considérations, il ne faut pas ignorer que certaines femmes se voilent aussi par conviction, assurées que se couvrir les cheveux est véritablement un acte de foi et un aboutissement dans leur cheminement spirituel. En réalité, le discours religieux qui a été diffusé depuis plus de vingt ans est à l’origine de ces croyances, contribuant ainsi à créer dans les sociétés musulmanes deux catégories de femmes, la femme pieuse, morale, « mouhtashima », pudique, et la femme non voilée qui manque de spiritualité et de morale puisqu’elle n’est pas arrivée à sacrifier de sa féminité pour se conformer à la « loi de Dieu », celle établie par les hommes comme telle. Cette représentation (de la femme voilée pure et éthiquement supérieure) s’est largement déplacée en Occident puisque le même discours conservateur y est diffusé sans qu’il ne soit contrebalancé de manière efficace par un discours modéré et plus réaliste. Ce constat fait, peut-on affirmer que le voile est un signe de soumission, d’extrémisme, ou encore d’appartenance à un mouvement politique. Plusieurs réponses sont possibles à cette question, mais quoi que l’on en dise, le voile est rarement un signe d’extrémisme religieux. Il n’est pas non plus un signe de soumission, puisqu’une femme peut-être soumise sans être voilée, et être totalement indépendante et libre et choisir de se voiler. Par ailleurs, porter le voile signifie-t-il que l’on adhère à un discours très conservateur ? La réponse est oui et non à la fois. Pour une femme le voile peut-être un choix très individuel sans aucun lien avec les considérations religieuses, comme il peut être l’image extérieure et la marque d’une adhésion totale à une tendance, une idéologie. L’on voit ici que le voile peut signifier tout et pas grand-chose quant au rapport à la religion. Si tel est le cas, pourquoi le voile est-il si mal toléré en France ? Là encore, la réponse est multiple le voile est apparu en France et s’est répandu avec autant de rapidité du fait du discours religieux relayé dans les milieux des Frères musulmans mais aussi dans les milieux salafistes tout comme cela a été le cas en Egypte, en Algérie, et dans tous les pays musulmans où cet islam mondialisé venu du Golfe, s’est imposé comme l’unique réalité religieuse, souvent au détriment d’une spiritualité multiple, s’enracinant dans la culture locale. Séduites par un discours valorisant mais très conservateur, les musulmanes ont abandonné cet islam « familial » pour embrasser l’islam des pétrodollars, avec tout ce que cela implique comme mode vestimentaire, langage, et représentations. (Voire L’Islam mondialisé, O. Roy).
Aujourd’hui, il n’y a pas qu’en France que le voile est contesté, il l’est tout autant dans les pays musulmans, où l’on n’hésite plus à le remettre en question, non pas dans les milieux féministes laïques, mais aussi et surtout de la part de théologiens qui n’hésitent pas à affirmer l’absence de prescription coranique justifiant le port du voile. Pourtant l’on voit rarement des penseurs islamiques, théologiens ou islamologues dans l’espace francophone se prononcer clairement sur la question du voile, alors que le Coran est assez explicite sur la question.
Le mot voile/Khimārapparaît dans le verset 31 de la sourate 24 où il désigne une étoffe censée recouvrir l’échancrure de la poitrine, en arabe « jaïb » qui signifie « ouverture », « pli » et littéralement « poche », nulle mention des cheveux ou de la tête : « Et dis aux croyantes (…) qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ». Mais par extension l’on a interprété ce verset comme un ordre de se couvrir les cheveux puisqu’il était de coutume en Arabie que les femmes et les hommes se couvrent la tête pour se protéger du soleil, de la chaleur, et du sable, donc ramener le voile sur la poitrine impliquerait de se couvrir la tête. Or le texte s’adresse à toutes les croyantes où qu’elles soient même dans les cultures où se couvrir la tête pour se protéger du soleil ou du sable n’est pas une coutume, dans ce cas l’on ne peut inférer de l’injonction à se couvrir la poitrine, une obligation systématique de se couvrir les cheveux. Nous avons ici un exemple type des interprétations abusives et outrancières auxquelles s’adonnent ceux qui s’approprient le Coran, pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas, et faire advenir une réalité qui leur convient. Pour justifier cette interprétation l’on a convaincu les femmes que la chevelure était un attribut érotique par excellence, qui empêcherait l’homme de contenir ses pulsions, ce qui est totalement faux, (il s’agit là d’une représentation toute relative qui diffère d’une culture à une autre, d’un contexte à un autre), mais dès lors que la société s’habitue à ne plus voire la chevelure féminine, la montrer devient nécessairement le lieu de toutes les curiosités. Les versets appelant à la pudeur, à la modestie, ou à la chasteté concernent autant les hommes que les femmes.
Le second verset à avoir inspiré les interprétations sur l’obligation du voile est celui où apparaît le mot « hijāb » (53, 33), lequel ne renvoie aucunement à un quelconque mode vestimentaire, pas plus que dans les six autres occurrences où il est cité. Le verset est une injonction aux hommes en visite chez le prophète de s’adresser aux épouses du ce dernier à travers une barrière, une cloison ou simplement un rideau, compte-tenu de leur statut particulier, et plus largement une invitation à respecter l’intimité du prophète, sa vie privée, et les codes de l’hospitalité[1] : « (…) Et si vous leur demandez (à ses femmes) quelque objet, demandez-le leur derrière un rideau/hijāb(…) ».
Enfin, il y a le verset 59 de la sourate 33 qui évoque le
« jilbāb », un mot qui peut signifier robe ample, un vêtement porté par dessus les habits mais dont ne on connaît pas la longueur. Le verset invite contextuellement les filles du prophète, ses épouses ainsi que les femmes des croyants à ramener sur elles leur « jilbāb » afin qu’elles soient reconnues et qu’elles ne soient pas inquiétées : «Ô Prophète! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles : elles en seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées. Allah est Pardonneur et Miséricordieux. »
Deux volets dans l’interprétation de ce verset doivent nous interpeller, d’une part, le verset ne concerne que les épouses du prophète, ses filles ainsi que les femmes des croyants à l’époque médinoise et non pas toutes les croyantes puisque la recommandation est liée, conditionnée par le danger auquel était exposées ces femmes-là durant cette période bien précise. D’autre part, là aussi, aucune mention de la nécessité de se couvrir les cheveux. Le terme utilisé dans le verset est « yudnīna », qui signifie, « rapprocher de » « refermer », les femmes devaient donc refermer les pans du « jilbāb », ne pas sortir légèrement vêtues dans un contexte où elle risquaient d’être inquiétées. Autre interprétation que l’on évoque rarement est celle qui voudrait que les femmes se découvrent le visage en sortant la nuit, car en effet suivant la coutume de certaines médinoise les croyantes se seraient entièrement dissimulées le visage rendant leur identification difficile. En somme, et quelle que soit l’interprétation retenue, rien dans le verset ne recommande de se couvrir les cheveux.
Aujourd’hui, les musulmanes sont des femmes libres qui peuvent circuler, travailler sans craindre d’être inquiétées, donc elles n’ont pas besoin d’utiliser un « jilbāb » pour se protéger de quelque danger – elles ne sont plus dans le contexte politique de Médine-, s’habiller et se coiffer discrètement suffit amplement à exprimer une certaine pudeur, si tel était le but du voile.
Une fois que l’on a établi que le voile n’est pas une obligation religieuse, qu’il n’est pas un signe de soumission, de radicalisation, ou d’appartenance à une idéologie bien qu’il en soit le symbole, puisque l’islam politique fait du voile un des impératifs à mettre en place pour faire advenir la réalité et l’ordre social qu’il vise, doit-on remettre en cause la liberté individuelle des femmes voilées ? La réponse est sans conteste non, uniquement si le port du voile vient contredire la loi de la laïcité. Mais dans le contexte de grande tension que traverse la France, est-il encore pertinent de le revendiquer comme l’aboutissement d’un cheminement spirituel quand rien ne le suppose comme tel dans la pratique de la foi. La solution sans doute utopique est celle qui consiste à stopper l’acharnement médiatique sur l’islam et les musulmans par le lien établi systématiquement entre terrorisme et islam, mais aussi par le mépris que n’hésite pas à exprimer certains journalistes à l’égard de l’islam prétextant la liberté de le critiquer. De poser le débat sur l’islam en faisant appel à des intellectuels et des philosophes de l’islam et non plus aux seuls représentants de telle ou telle association ou à des femmes voilées, pour lesquelles critiquer certains aspects de l’islam tel qu’il est pratiqué est nécessairement l’expression du racisme ou de l’islamophobie. Le débat doit être déplacé sur l’axe théologique, spirituel et philosophique et non plus seulement politique. C’est en renforçant la recherche en islamologie, c’est en proposant des formations globales et pluridisciplinaires aux imams, en enrichissant leur savoir philosophique, scientifique et culturel qu’il sera possible de donner une dynamique autre que strictement politique à l’islam en France.
[1]Ô vous qui croyez! N’entrez pas dans les demeures du Prophète, à moins qu’invitation et permission ne vous soient faites à un repas, sans être là à attendre sa cuisson. Mais lorsqu’on vous appelle, alors, entrez. Puis, quand vous aurez mangé, dispersez-vous, sans chercher à vous rendre familiers pour causer. Cela faisait de la peine au Prophète, mais il se gênait de vous (congédier), alors qu’Allah ne se gêne pas de la vérité. Et si vous leur demandez (à ses femmes) quelque objet, demandez-le leur derrière un rideau: c’est plus pur pour vos cœurs et leurs cœurs; vous ne devez pas faire de la peine au Messager d’Allah, ni jamais vous marier avec ses épouses après lui; ce serait, auprès d’Allah, un énorme péché.
Source :
https://islamanalysis.fr/2020/10/19/le-voile-que-dit-le-coran/
Sam 10 Sep - 13:52 par Gold Kalam/Plume D'Or